Tout récemment, le terrain dont nous sommes depuis peu les gardien-ne-s et qui accueille nos rêves d’un avenir qui nous ressemble toujours plus a vu débarquer une belle brochette de copain-e-s de tous poils, horizons, âges, coins de France et j’en passe à l’occasion de son premier chantier participatif. Cette rencontre était placée sous le thème de la pierre sèche. Grâce à un guide expérimenté et généreux de ses savoirs, nous avons pu découvrir ou aprofondir, selon le bagage de chacun-e, quelques notions de base de la construction des murs en pierre sèche et surtout nous frotter à la réalité du quotidien des murailler-e-s : décaisser des éboulis, trier les pierres retrouvées par taille, établir les fondations d’un mur, commencer à le remonter, caler toutes les pierres…

J’ai pour ma part vécu des moments magiques, me sentant entourée, soutenue, portée par la dynamique de ce groupe émergeant spontanément alors que la plupart des participant-e-s au chantier se sont rencontré-e-s sur place le premier jour, étant habitée d’un sentiment de profonde gratitude de pouvoir passer du temps dans ce lieu incroyablement puissant et beau, de prendre soin de cet héritage vernaculaire laissé à l’abandon pendant de longues décennies et fruit d’un travail inestimable des ancien-ne-s à une époque où ces contrées étaient davantage habitées, de partager cette opportunité avec cette équipe de choc, de voir le travail avancer à un rythme autrement plus soutenu qu’en (très) petit comité… Bref, wahouuuuu !

L’état des murs et les éboulis après le défrichage

Je ressens l’envie de succinctement partager avec vous ici les bases du travail sur un mur en pierre sèche dont je me rappelle à l’issue de cette expérience (sans aucune attente d’exhaustivité, évidemment, je ne suis qu’un bébé murailler-e et en espérant ne pas froisser notre guide en racontant des bêtises) ainsi que quelques images de cette petite tranche de vie collective.

La pierre sèche est un mode de construction ancestral que l’on retrouve dans de très nombreuses régions de par le monde. Ici, dans une région pour le moins accidentée, elle permet de créer des terrasses pour vivre, cultiver, circuler etc. En tissant un lien personnel avec cette technique, on s’inscrit donc dans une longue lignée de bâtisseur-euse-s, de paysan-ne-s, etc. qui répètent ces gestes et se les transmettent de génération en génération (MERCI à toi M pour ce partage inestimable !).

Juste après le chantier… Non, je déconne ! C’est le site de Chinchero au Pérou, histoire d’illustrer la dimension internationale et ancestrale

De nombreuses terres ayant été laissées à l’abandon suite à l’exode rural de la deuxième moitié du siècle dernier, les végétaux, les trombes d’eau, les animaux, le temps… ont amené bien des murettes (comme on les nomme ici) à s’écrouler partiellement ou totalement. C’est qu’avant, elles bénéficiaient d’un entretien régulier et nous comptons bien relancer cette dynamique sur les terres qui nous sont confiées. En arrivant sur place, une fois la luxuriante végétation défrichée, nous avons eu la joie immense de trouver des murs magnifiques dont certaines parties sont donc écroulées formant des éboulis plus ou moins imposants. La première mission pour prendre soin des murettes consiste donc à décaisser ces éboulis à l’aide principalement de pioches et de pelles ainsi qu’à récupérer les pierres ensevelies dans la terre pour les réutiliser. Afin de faciliter les étapes de la future reconstruction, il est opportun de trier ces pierres par calibre à mesure qu’on les retrouve. L’idée est de décaisser jusqu’à atteindre en bas la base du mur (ses fondations ou l’endroit où elles reprendront place – à savoir une bonne quinzaine de centimètres sous le niveau du sol), latéralement des portions du mur restées stables et ne risquant pas de s’écrouler prochainement, et en profondeur ou dans l’épaisseur du mur, un tiers de sa hauteur finale (autrement dit il faut ‘rentrer’ de 50 cm dans la terrasse pour un mur qui atteindra finalement 1,50 m une fois remonté).

ça décaisse !

Une fois la zone bien dégagée (et cela requiert déjà une bonne quantité d’huile de coude, de genou, de dos etc), c’est le moment fondamental des fondations. Les fondations d’un mur en pierre sèche sont généralement constituées de pierres de grand calibre légèrement enterrées (rappel : environ 15cm sous le niveau du sol), parfaitement stabilisées (au besoin, damer le sol, l’aplanir à la truelle), en contact maximal les unes avec les autres entre voisines et placées de sorte à ce que leur face supérieure présente du fruit (terme clé en construction en pierre sèche qui veut dire en deux mots une inclinaison de 7 à 15° vers le ‘fond’ du mur permettant sa stabilité et renforçant sa durabilité dans le temps). Je ne vais pas m’étendre longuement sur le fruit et les aspects très techniques (car je ne les maîtrise pas et que celleux qui veulent connaître plus de détails feront leurs recherches persos) mais je crois qu’il est important de préciser que cette légère pente vers l’intérieur du mur vise grosso modo à déplacer son centre de gravité vers l’arrière (alors que la plupart des éléments susceptibles de l’abîmer pousseront généralement vers l’avant : l’écoulement de l’eau, les animaux, le temps, la gravité, le tassement du sol, etceteritera). Précision : le recours au fruit amène le mur à présenter dans sa forme finale une épaisseur de moins en moins importante à mesure qu’on le remonte (d’où l’importance de commencer épais). Que dire encore à propos des fondations ? Et bien par exemple qu’il est essentiel de prendre son temps pour leur donner forme car elles auront un impact sur la durabilité de l’ensemble du travail effectué sur le mur, les bases quoi, et que l’on peut s’aider de barres à mine et d’autres techniques comme le fait de faire rouler les pierres pour parvenir à déplacer les mastodontes qui les composent sans se casser le dos (ben oui, on en a encore besoin pour la suite, de ce dos :p).

Une fois cette première ligne de pierres posée, on poursuit la reconstruction du mur en veillant à plusieurs éléments importants :

  • Bien observer chaque pierre pour déterminer lequel de ses côtés constitue son parement, c’est à dire sa face qui sera exposée à notre regard à l’avant du mur. Si vous tombez sur des pierres vraiment biscornues, elles serviront pour la partie intérieure du mur. Chaque pierre compte !
  • Chaque pierre posée est une pierre calée, donc on s’assure d’avoir stabilisé chaque pierre à l’aide de plus petites pierres faisant office de cales. Pour être considérée comme stable, une pierre doit généralement disposer de deux appuis à l’avant (à chaque extrémité de son parement, vous suivez toujours ? :p) et d’un appui à l’arrière, du côté intérieur du mur, ce qui fait trois appuis au total, le triangle, forme stable par excellence en construction. On peut s’aider d’une massette pour caler les pierres. Le meilleur moyen de vérifier l’efficacité d’une cale consiste à tenter de la faire bouger à la main : si elle ne retient rien et vient toute seule, c’est qu’elle ne remplit aucunement sa fonction de cale. Et le meilleur moyen de vérifier si une pierre est bien calée est aussi tout simplement d’essayer de la faire bouger à la main. On ne passe à la pierre suivante qu’une fois cette stabilité éprouvée. Comme pour les fondations, chaque pierre doit aussi avoir un maximum de surface de contact avec ses voisines. Pour ce faire, on peut combler les interstices liés à la forme des pierres avec des plus petites pierres.
  • Quand on pose une pierre, on veille, comme on le voit dans les constructions en briques par exemple, à couvrir les ‘joints’ de la rangée précédente pour éviter leur alignement vertical susceptible de créer un ‘effet de coup de sabre’ fragilisant grandement l’ouvrage. Il peut arriver que deux joints soient alignés mais il est vraiment important de ne pas répéter ce phénomène sur plus de deux niveaux.
  • Le principe incontournable du fruit, brièvement évoqué à l’étape précédente, continue de jouer un rôle-clé tout au long de la (re)construction du mur. La pente vers l’intérieur donnée au niveau des fondations fait en effet l’objet d’une attention particulière au niveau du parement (face visible) du mur dans son ensemble. On vise ainsi l’angle droit (90°) entre cette pente vers l’intérieur des fondations et la pente globale du mur (et donc de chaque pierre qui le compose, en particulier au niveau du parement). Cette pente vers l’intérieur de chaque pierre retarde la ‘sortie’ des pierres vers l’avant et un niveau à bulle permet de s’assurer de la position opportune de chaque pierre une fois calée avant de passer à la suivante. On peut se faire une idée du fruit des pans de murs déjà existants en utilisant ses yeux évidemment, mais aussi éventuellement des chevillettes, des cordeaux, voire des tasseaux pour aider le regard à matérialiser le plan de ce fruit dans le vide au niveau des éboulis. Une astuce consiste aussi à vérifier, en se plaçant au dessus verticalement, que chaque pierre de la nouvelle rangée se trouve bien un peu en retrait car on peut voir légèrement dépasser celle placée juste en dessous.
  • La dernière rangée tout en haut du mur s’appelle le couronnement et est constitué de pierres de plus grandes tailles, prenant les autres rangées ‘en sandwich’ entre les grosses pierres des fondations et celles de ce couronnement. On peut ainsi circuler sur la terrasse supérieure jusqu’au bord du mur sans craindre de provoquer un éboulis de petites pierres. Il faut donc penser à mettre des grosses pierres de côté pour la fin.

Il semble qu’il existe presque autant de façon de bâtir un mur en pierre sèche que de muraillier-e-s. M, notre guide du week-end passionné par son métier, souhaite prendre le temps d’écouter les pierres et être méticuleux dans ce travail. Son approche nous invite donc non seulement à veiller à la stabilité et à l’esthétique de la rangée de pierre constituant le parement du mur, comme c’est le cas de bien des bâtisseur-euse-s mettant en œuvre cette technique, mais aussi, et c’est moins fréquent à la stabilité, au calage et au contact entre toutes les pierres des couches moins visibles du mur une fois qu’il sera terminé. Il nous a donc enseigné à caler toutes les pierres constituant l’épaisseur/la profondeur du mur à mesure de sa construction. En regardant l’ouvrage du haut, cela ressemble un peu au pavage d’une voie romaine ou à une mosaïque.

Personnellement, j’ai ressenti une grande dimension méditative à cette approche du travail, en plus de ses avantages techniques de durabilité dans le temps. J’ai apprécié alterner entre les phases de réalisation du parement, dans notre cas principalement composé de pierres plus grandes et m’offrant une satisfaction esthétique et dans le rythme un peu plus rapide de progression de la construction, et les phases dédiées à cette mosaïque de plus petites pierres en arrière-plan, moins visibles mais tout aussi essentielles. Je l’ai vécu comme une métaphore existentielle à bien des niveaux 😀 Dans l’ensemble, je dirais que le travail était plus fluide et efficace en me reposant sur mon intuition pour choisir la pierre qui irait bien à cet endroit plutôt qu’en réfléchissant plein pot. Une belle invitation donc au lâcher prise, à la méditation active, au contact avec l’énergie de tou-te-s ces ancien-ne-s venu-e-s caresser ses pierres avant moi… Bref, quel cadeau !!

Merci à G et L pour certaines photos de cet article qui ne sont pas de moi <3